Le plus récent roman de Pan Bouyoucas parle de la Grèce, mais pas seulement. Avec Le mauvais oeil, ce sont les superstitions menant à l'intégrisme et à la peur de l'immigrant qui se retrouvent au banc des accusés.

Pan Bouyoucas écrit court, mais fort. Il fait passer la pilule de ses critiques sociales en employant la fable ou le conte. Il raconte le monde moderne, critique, dénonce. Avec Le mauvais oeil, il s'en prend à la bêtise humaine, celle des intégristes, des racistes, des gouvernements, notamment.

«Le sujet d'un roman, c'est souvent plusieurs thèmes qui convergent, dit-il. Un thème ne donne pas un roman. Dans ce cas-ci, je voulais parler surtout du fait que l'on met toujours sur le dos des autres notre déchéance ou nos échecs plutôt que de faire notre autocritique. On le voit ici dans la présente campagne électorale.»

En fait, le 14e roman de Pan Bouyoucas tombe pile dans l'oeil de la tempête de l'actualité internationale.

«Je voulais parler un peu de ce qui se passe en Grèce. J'ai terminé le livre avant la crise que l'on connaît. Je voyais certaines choses là-bas que je voyais ailleurs aussi.»

«Je n'écris pas de roman à thèse, mais j'ai pensé au mauvais oeil. C'est quelque chose de très fort dans la Méditerranée et au Moyen-Orient, cette croyance au regard envieux des autres.»

Dans le récit, l'île est victime de la crise économique et les habitants prennent comme souffre-douleur une artiste, une étrangère qui porte, évidemment, malheur. Les «intégristes» du mauvais oeil l'emporteront sur la raison.

Grec né au Liban et Montréalais depuis toujours, Pan Bouyoucas s'intéresse depuis longtemps au sort des migrants.

«Même si je suis ici depuis 52 ans, les autres me renvoient l'image de "l'autre". Je voulais en parler parce que la crise des migrants en Europe se prépare depuis longtemps. Quand j'ai commencé le roman, je pensais à la charte des valeurs. Je voyais des gens en région qui n'avaient jamais rencontré de musulmans ou de Noirs commencer à dire qu'ils sont comme ci ou comme ça. On blâme toujours l'étranger quand ça va mal.»

La Grèce

Pan Bouyoucas ne s'en cache pas. La corruption qui sévit dans la petite île de son roman est bien celle qu'il a connue et vue en Grèce.

«Ce que je vois en Europe et en Grèce depuis des mois justifie beaucoup de choses que j'ai écrites. La Grèce est entrée dans l'Union européenne en 1981 avec des mensonges. Elle a reçu l'équivalent de 4 % de son PIB. Au lieu de s'en servir pour construire une base solide, les gouvernements ont détourné l'argent.»

«Le chacun pour soi a remplacé l'esprit de collectivité et engendré une kleptocratie.»

L'auteur devient intarissable. Même si le ton du livre est assez ludique, il avoue s'être délecté à écrire sur les classes dominantes qui profitent de la paranoïa et de la peur pour faire de l'argent.

«En Grèce, comme ici dans le temps de Duplessis avec ses frigos, on promettait un travail au gouvernement pour un vote. Un Grec sur quatre travaille au gouvernement. J'en parle un peu dans le roman. Dans les années 80, une île grecque a reçu de l'Europe 3 millions de dollars pour la construction d'un hôpital psychiatrique. L'argent a disparu en deux mois. Il y a un endroit à 100 km au nord d'Athènes où 1700 personnes sont employées pour la protection d'un lac qui est asséché depuis 1930!»

Le Québec

Plusieurs de ses romans se passent dans une île. Celui-ci ne fait pas exception, même si les thèmes sont universels.

«Quand l'éditeur l'a lu, il m'a dit que cela pourrait représenter le Québec. Ça pourrait être aussi dans le Midwest quand on entend Trump parler. Quand on est arrivés au Québec, étant grecs orthodoxes, on m'interdisait l'école catholique. Mes parents avaient choisi Montréal pour le français, mais j'ai dû faire toute ma scolarité en anglais.»

Pan Bouyoucas a beaucoup travaillé comme traducteur et journaliste durant sa carrière. Il en a vu d'autres. Pour cette raison, sans doute, il sombre rarement dans le noir complet au sujet de l'avenir. Maniant l'ironie avec doigté, il se dit surtout lucide face à la mère patrie. Il pense aux grands philosophes, à Socrate notamment, accusé par un commerçant, Anytos, d'être corrompu et de favoriser le déclin de la race.

«Dans les années 50, Georges Séféris a dit qu'il y avait en Grèce deux races, celle de Socrate et celle d'Anytos. La première a fait la gloire de ce pays. Malheureusement, elle a disparu, il ne reste que la deuxième. Je ne suis pas aussi pessimiste. Mes parents n'étaient pas intellectuels et je le suis devenu. Mes filles ne veulent rien savoir de ça, mais leurs enfants, oui! L'humanité avance quand même.»

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Le mauvais oeil. Pan Bouyoucas. Les allusifs, 140 pages.